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Mohamed L. Nabé : « On a interprété de façon délibérée et déformée nos textes »

Mohamed Lamine Nabe, ancien président du comité
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Dans un environnement agité par le foisonnement des clans autour du football guinéen, en berne à cause des intérêts égoïstes des uns et des autres, ConakrySports a accroché Mohamed Lamine Nabé, président du comité provisoire du football guinéen installé en 2016. Sans langue de bois, il nous fait la radioscopie des crises autour de ce sport roi.

Entretien

Pour rappel, vous êtes le premier président du CONOR (comité de normalisation) en Guinée. Qu’est-ce qui a favorisé la mise en place decette entité d’exception ?

Je vous remercie. Avant, permettez-moi de commencer par un bref rappel pour mieux camper la genèse du sujet. Il faut dire que la mise en place d’un comité de normalisation (CONOR) en Guinée n’est nouvelle que par son intitulé. Des années auparavant, un organe similaire avait été institué pour gérer le football de notre pays, après une grave crise qui l’avait secoué. La situation avait nécessité l’installation d’un organe transitoire de gestion qu’on appelait alors comité provisoire. On pensait en avoir fini avec ce genre de situation, bien des années après, en 2016, pour être exact, la fédération guinéenne de football a connu une autre crise interne. On a fait recours à la même thérapie pour gérer le malaise. Je vous épargne des détails, mais vous me permettrez cependant, pour la bonne appropriation du sujet, de vous retracer brièvement, la réalité qui a prévalu à l’époque, au point d’amener la FIFA à réagir. Pour justifier une telle décision, il fallait bien que la crise soit assez profonde.

Que peut-on savoir de cette crise profonde ?

Tout est parti d’un malentendu, je dirais une incompréhension entre le Président de la fédération guinéenne de football d’alors (Ndlr : Salifou Camara alias Super V) et une frange importante du comité exécutif qui reprochait à sa présidence, une gouvernance opaque. Les choses sont restées en l’état, jusqu’au moment où le secrétaire général (Ndlr : Ibrahima Blasco Barry) a rejoint les dissidents. Il a été aussitôt suspendu par le Président. Cette sanction a alors aggravé la situation, puisque les clubs et les arbitres ont soutenu le secrétaire général, refugiant ainsi de continuer à jouer le championnat. Ce qui signifiait en clair que le ballon serait arrêté. Et lorsque le ballon arrête de rouler dans un pays affilié, la FIFA intervient tout de suite. Ce qu’elle n’a pas tardé à faire. C’est ainsi que pour la première fois, en Guinée, la FIFA, en collaboration avec la CAF, a décidé d’installer un comité de normalisation dans sa version actuelle.

Quels étaient les problèmes à résoudre?

Le document qui a institué le comité de normalisation et nommé ses membres, était clair, en ce qui concerne les missions qui lui sont assignées. Ces missions se résumaient essentiellement à trois. La première était d’assurer la gestion des affaires courantes du football dans le pays. La seconde concernait la revisitassion des textes régissant la pratique du football. Il faut reconnaitre qu’à l’époque, nous étions en déphasage avec les réalités du football, car nos textes étaient tombés en désuétude. Nous n’étions plus en phase avec le niveau du football moderne. Il fallait adapter les textes à cela, bien sûr, avec l’accompagnement de la FIFA. Ce qui nous a amené à toiletter les statuts, règlement intérieur, règlement de l’assemblée générale et beaucoup d’autres documents.

La FIFA vous a donc balisé le terrain ?

Sans intention de nous répéter, nous disons avoir produit tous les documents qui devaient sous-tendre le fonctionnement normal d’une fédération de football. Après avoir élaboré et fait adopter ces documents, par l’assemblée générale extraordinaire, la troisième mission a été de procéder à l’élection d’un nouveau bureau pour revenir dans la normalité. C’étaient les trois missions essentielles que la FIFA nous avait assignées. Et pour les assumer pleinement et correctement, nous avions promis dès notre prise de service, que nous n’ajouterons pas une minute de plus au mandat de neuf mois qui nous a été accordé. Ce qui fut fait. Nous avons respecté la durée du mandat, en faisant essentiellement ce qu’on devait faire.

Êtes-vous surpris que la Guinée se retrouve à nouveau dans ce schéma ?

Je dirais d’emblée, oui et non. Oui, j’étais surpris de voir qu’après tous les efforts fournis avec l’ensemble des acteurs du football guinéen pour mettre en place les textes règlementaires qui devaient régir notre sport roi, que l’équipe qui a été élue ait fait fi de tout cela. Je ne croyais pas qu’on pouvait en arriver là aussitôt. Lorsque les textes sont clairs et votés par l’ensemble des acteurs, à près de 90% et que dans les mois qui ont suivi, on a commencé, de façon expresse et systématique, à refuser de respecter ces textes, ce fut une surprise pour moi. Cependant, à voir les choses de près, je n’étais plus surpris, quand j’ai compris que ce qui a commencé ne s’arrêtait pas et ne faisait qu’aller crescendo. J’étais désormais convaincu qu’on s’enfonçait tout droit dans le mur. Cela ne doit pas surprendre, à partir du moment où la fédération n’était plus gérée, comme les textes l’exigent.

Que s’est-il passé pour qu’on régresse à ce point ?

On a géré le foot au gré de l’humeur des dirigeants. On s’est beaucoup plus focalisé sur les conflits interpersonnels devant les instances faîtières de football mondial en laissant les missions pour lesquelles, ils ont été élus ; choses qui n’étaient pas à l’avantage du football guinéen. J’étais donc surpris que dès le début, les textes ne soient pas respectés. J’étais d’ores et déjà convaincu qu’on aboutirait, passez-moi le mot, à quelque chose de pas ‘’catholique’’ pour la Guinée.

A votre avis c’est quoi le réel souci du football guinéen actuellement ?

Le problème est purement électoraliste. Je pèse bien mes mots : électoraliste et non pas électoral. Je rappelle que les règles du jeu étaient biaisées dès le départ. Lorsque le comité de normalisation de 2016 avait procédé à l’élaboration des textes régissant le football guinéen, le temps lui était compté. Il ne pouvait, pour des raisons d’éthique, rester en place, au-delà de la période impartie de son mandat. Cela, dans le souci de respecter la feuille de route. C’est ainsi que, dès après qu’il a élaboré les documents cadres de notre football, le premier CONOR que nous avons eu l’insigne honneur de présider (2016 – 2017), a estimé que les autres textes qui doivent suivre, peuvent être préparés par le comité exécutif qui va nous succéder. Tout cela, pour que la transition puisse prendre fin dans les formes légales requises.

Qu’est ce que vous n’avez donc pas pu accomplir ?

Parmi les activités, il restait à réaliser la mise en place des commissions juridiques, notamment la commission électorale, la commission de discipline, la commission d’éthique ; Il y avait également, les associations nouvellement créées par le CONOR, qui n’avaient pas produit tous les documents requis pour leur fonctionnement. Je parle des associations des arbitres, des anciens footballeurs internationaux, des médecins sportifs, des entraineurs, du football féminin, du football de salle et du football de plage n’étaient pas agréés par le ministère en charge de la décentralisation. Ainsi, nous avons innové en acceptant, en conformité avec les textes et règlements en vigueur, qu’elles mènent des activités dans le cadre du football en leur accordant un moratoire de deux ans pour leur permettre de se mettre en règle au vu de ces dispositions transitoires des statuts.

C’était donc la fin de votre mission ?

C’est exactement cela. Nous avons voulu être au rendez-vous de l’histoire. Et nous avons laissé la latitude au comité exécutif d’installer ces instances importantes pour faciliter le fonctionnement normal de notre institution qui est lefootball. Un refus systématique a été opposé à tout cela. Et par la suite, la mise en place précipitée de cescommissions juridiques à la veille des élections a envenimé tout le reste, puisque les membres qui ont été désignés pour animer ces structures étaient très talentueux dans leurs domaines de travail, mais malencontreusement, ils n’étaient pas imprégnés de la gestion du football. Cela n’a pas arrangé les choses et mieux, le goulot d’étranglement a été aussi que les candidatures qui devaient être reçues les ont été sans tenir compte de la rigueur des textes.

Une nouvelle crise s’est installée après ?

Il y avait un problème de sanction, laquelle a été à la base de tout, dans cette crise qui n’avait aucun rapport avec la fédération guinéenne de football. L’affaire qui a été jugée au niveau de la FIFA ne nous concernait nullement. C’était un individu, une personne physique qui était concernée. Mais malheureusement, cela a mis en branle les statuts de la fédération guinéenne de football dans lesquels, il est stipulé en substance, que lorsque vous êtes sanctionné par les commissions d’éthique de la FIFA, de la CAF ou de lafédération guinéenne de football, vous ne pouvez pas être candidat, pendant cinq ans.

La mauvaise foi a peut-être perturbé l’interprétation objective de cet article ?

Le paragraphe des statuts de la fédération guinéenne de football qui a stipulé cela, n’a jamais été élucidé, malgré la présence de nombreux intellectuels en Guinée. Nos juristes n’ont pas pu interpréter ce paragraphe pour dire la vérité au peuple de Guinée et aux autres pays du monde qui nous suivaient aussi. On s’est obstiné à occulter le sujet et à en faire une autre lecture, au lieu de dire la vérité. C’est là, le problème dans notre football. On ne dit pas la vérité. On refuse de dire la vérité.

Croyez-vous qu’on n’a jamais dit la vérité pour sortir de cette crise ?

Souffrez que j’insiste là-dessus et que je répète inlassablement le mot. C’est là, l’une des vraies causes du problème. Lorsque quelqu’un a à faire avec la justice, la meilleure des choses, c’est de le laisser avec la justice, ou au besoin, l’accompagner pour trouver la solution. Mais on ne doit pas faire entrave à l’application des textes de la fédération guinéenne de football. La sanction prise par la commission d’éthique de la FIFA a forcément une répercussion en Guinée et s’applique conformément aux textes prévus à cet effet. Mais chez nous, on pense autrement pour dire : « non, ça ne va pas s’appliquer, ce n’est même pas ce qui est dit… ».

On a donc interprété de façon expresse ?

Je dirais plutôt qu’on a interprété de façon délibérée et déformée les textes, tout simplement, pour des raisons subjectives, basées sur des considérations personnelles. Qu’est-ce que Joseph Blatter n’a pas fait pour le football mondial ? Le jour où il a eu des ennuis avec la justice, on l’a laissé régler cela avec la justice et le football a continué. Michel Platini, pareil. Noel Le Graet est l’un des meilleurs présidents de la fédération française de football. Ce qu’il a fait pour la France à la tête de Fédération Française de Football (FFF) est incommensurable. Aujourd’hui, il a à faire avec la justice et aucune entrave n’a été faite par la fédération française de football. Il faut qu’on sorte de ça. Il faut qu’on préfère notre pays. Il faut qu’on préfère notre football à des individus. Il faut qu’on se dise la vérité. Mais on ne veut pas la dire parce que tout simplement on a des intérêts à préserver quelque part. Tant qu’on continue comme ça on ne verra pas de succès, pas de victoire et pas de bonheur dans notre football, parce qu’il est personnalisé, désormais.

Il y a quand même des choses à retenir de leur gestion ?

J’ai beaucoup d’éloges à formuler pour cette équipe qui a géré après le CONOR auquel nous avons appartenu. Ils ont réussi à stabiliser le championnat et cela a eu des répercussions sur nos équipes nationales, notamment, l’équipe nationale locale qui a fait notre fierté pendant plusieurs années. A l’époque, on barrait la route au Sénégal. C’est un mérite que je reconnais pour ce comité exécutif.

Avec un bâton magique qu’est-ce que vous changerez de la nouvelle configuration de la gestion de notre football du bas en haut des escaliers ?

Le bâton magique n’existe pas. On a besoin de dialogue, d’échanges responsables et fructueux, de l’acceptation de l’avis des autres et tout cela ne peut être initié, planifié et exécuté que par le CONOR actuel. Celui-ci doit enclencher ces démarches. Même ceux qui ne veulent pas l’écouter, il doit aller vers eux, parce que si ces acteurs n’adhèrent pas à la stratégie proposée, il pourrait y avoir d’évolution dans le processus de normalisation. On ne peut donc pas rester sur nos positions. La FIFA et la CAF ont suffisamment confiance en ce CONOR. C’est pour cela d’ailleurs, que ces membres ont été choisis. Ils doivent penser à cela pour mériter cette confiance et sortir de l’adversité permanente et totale. On ne doit pas perdre de vue qu’en gestion associative, on travaille ensemble et décider ensemble. Il ne faut pas aller travailler derrière quelqu’un pour venir lui exposer tes propositions. Si à la conception déjà il y a problème, comment les décisions peuvent être mises en vigueur et correctement exécutées ? Il n’y a pas d’alternative possible si ce n’est que de passer par la décision collective.

Partagez-vous l’idée qui consiste à restreindre les mécènes à la Feguifoot?

C’est le point de vue de beaucoup de personnes actuellement. Mais il ne faut pas qu’on se permette de tout dire aussi.La FIFA n’est pas n’importe quelle institution. En son sein, nulle part cela n’est mentionné. Idem, au sein de laCAF.  Cela frise avec l’exclusion ou la discrimination. Et la FIFA et la CAF se battent contre ces agissements. Toutefois, on peut intégrer des mécanismes pour empêcher les mécènes d’agir en flagrant délit de conflits d’intérêts. Dans nos textes tout est dit. C’est l’application qui fait défaut. Aujourd’hui c’est un mécène qui est à la tête de la confédération africaine de football (CAF). Il n’a pas été exclu, parce que la CAF n’a pas pour vocation, d’exclure quelqu’un pour la gestion du football. Mais la personne est suivie à la loupe pour éviter qu’elle ne se rende coupable de conflit d’intérêts sans conséquence. C’est cela aussi l’éthique. Il faut qu’on y arrive. En guise d’illustration, pendant notre mandat, on a proposé dans les statuts que le poste de vice-président soit occupé par un cadre qui a au moins le BAC, pour gérer efficacement les affaires de la fédération. Mais, cela n’a passé.

Qu’est ce qui a motivé votre décision ?

Nous avons estimé que le président et le secrétaire général constituent la plaque tournante de l’institution. Cependant, le président a un agenda très chargé. Il le partage entre des voyages multiples et des réunions quotidiennes. Il travaille beaucoup plus à l’extérieur qu’à l’intérieur de l’institution. Il faut donc quelqu’un de stable ayant un niveau appréciable en management pour garder l’institution dans des conditions detravail parfaites. Lorsqu’on a proposé cela, l’idée n’a pas prospéré, car nombreux étaient les acteurs de football guinéen qui n’ont pas accepté. Nous avons consulté la FIFA et la CAF. Les techniciens de ces instances nous ont déconseillé de le faire. Ils nous ont dit : « vous ne pouvez pas faire cela, sinon tout le monde n’aura pas la même chance de gouverner ».

Entretien réalisé par Yvon LEROUX

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