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Football guinéen : les vérités de Laurent Hatton

Laurent Hatton a côté de Lappe Bangoura alors coach des locaux lors du CHAN 2016.
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Venu dans le sac de Luis Fernandez à la tête du Syli en 2015, Laurent Hatton est resté en Guinée après le bref passage de son protecteur. Il y passera deux ans à collaborer avec les sélectionneurs,  Abedi, feu Hamidou Camara, Mandjou Diallo dans les petites catégories et Lappe Bangoura lors du CHAN 2016. Aujourd’hui recruté par le ministère de l’éducation chinois et posté à Chongqing au sud ouest, Laurent Hatton s’occupe désormais d’un collège de 5000 élèves avec des classes de football  en sorte d’académie de 6 équipes de 30 joueurs. De son avis et de sa petite expérience du vécu en Guinée notre interlocuteur ne porte pas de gants pour décrypter et diagnostiquer notre football.  

Les infrastructures à l’époque 

« Je pense que le football ça commence par les installations. Le grand drame quand je suis arrivé en Guinée, c’était de voir l’état des installations sportives en général et du football en particulier. Le terrain annexe du stade 28 septembre, je pense a été refait, le terrain de Nongo n’était pas du tout créé. Et il y avait des frais de virement FIFA qui étaient bloqués, les hôtels prévus n’étaient pas terminés, le stade de Nongo était déjà en décrépitude, la pelouse était retournée. On nous avait fait visiter avec Luis Fernandez, je me souviens, les installations. On nous avait annoncés que c’était le nouveau stade de Guinée. C’était complètement délabré, les enfants avec des brouettes, des pelles retournaient la terre. C’était hallucinant. Les installations étaient vraiment catastrophiques. »

« Le meilleur terrain était finalement celui de la mission où tout le monde venait jouer »

« Parce que c’était le synthétique en meilleur état. Autre chose qui m’avait aussi beaucoup surpris on avait annoncé que dix terrains synthétiques étaient en partance de Chine pour arriver sur la Guinée. Je pense que depuis les bateaux ont dû couler parce que je n’ai jamais vu ces terrains synthétiques arrivés. Il semblerait que ces dernières semaines de nouvelles installations sortent de terre enfin pour alimenter non seulement Conakry mais aussi les villes des provinces environnantes. Ce sont des structures sportives qui sont importantes. Sans les structures on ne peut pas rester à jouer entre les voitures ou sur les terrains en terre battue. C’est franchement impossible de développer le football dans ces conditions. »

« Le DTN avait un tout petit salaire, pas de bureau, pas d’ordinateur » 

« Suivant les installations, il y a ensuite l’encadrement technique. On a souvent constaté, souvent paru, et même les entraîneurs guinéens, eux mêmes, le regrette, c’est le manque de formation sur le territoire guinéen. Les licences B ou A sont toujours un problème récurrent, les clubs qui se qualifient ne peuvent jamais avoir leurs entraineurs au bord du terrain. Il y a quand même un souci de ce côté là. La fédération à l’époque avait beaucoup de soucis, le DTN (Directeur technique national) de l’époque qui venait d’être installé, qui est décédé depuis, n’avait aucun moyen. Un tout petit salaire, pas de bureau, pas d’ordinateur, aucun pouvoir sur l’organisation du football. Une direction technique nationale dans tous les pays soit en Guinée soit en Europe où n’importe où dans le monde a besoin d’une direction technique forte avec un minimum de moyen d’autant que les nombreuses enveloppes qui sont données par la FIFA pour assurer ce travail minimum à savoir la formation des jeunes joueurs, la formation des cadres et l’organisation de compétitions. »

Qu’en est-t-il des sélections des jeunes en Guinée?

« Quand on regarde les sélections à l’époque, je me souviens, que les U17  avec feu Hamidou Camara participait à la coupe du monde et les U20 dirigés à l’époque par Mandjou Diallo participait à la coupe du monde. Aujourd’hui toutes ces catégories là semblent laisser à l’abandon. Et les autres pays africains participent de manière très honorable au niveau mondial. Qu’en est-t-il des sélections des jeunes en Guinée? C’est un vrai problème car ces jeunes sont censés alimenter les championnats guinéens que ce soit les divisions 2, amateurs ou la Ligue guinéenne de football professionnel. C’est delà que les pépites vont sortir. Il faut absolument développer cela et aider les petites académies qui travaillent dans leurs coins avec des moyens très limites et qui aujourd’hui ne sont plus adaptées au niveau du football ne serait ce qu’africain. C’est un grand manque. »

« Il y a une situation politique qui explique les difficultés mais ce n’est pas tout »

« Tout comme un club, la sélection est la locomotive d’un pays partout dans le monde. En Guinée, l’équipe première c’est le Syli A. On a suivi de près son évolution, enfin quand je dis son évolution, il n’y a pas eu beaucoup d’évolution. Il y a eu surtout beaucoup de bagarres de dirigeants pour prendre le pouvoir. Alors prendre le pouvoir c’est bien mais le pouvoir pour faire quoi ? Le bilan c’est beaucoup d’argent dépensé, beaucoup de bruit, beaucoup de luttes intestines mais à l’arrivée le football guinéen n’a jamais été gagnant. Alors certes qu’il y a une situation politique qui explique les difficultés mais ce n’est pas tout.  »

« On ne peut pas atteindre des résultats dans les prochaines années »

 » Les changements de staff, le nombre de joueurs qui ont été sélectionnés sur les cinq ou six dernières années c’est hallucinant. Et aujourd’hui encore c’est compliqué de mettre en place un Syli A avec des résultats. On le voit sur les dernières prestations. Le choix a été fait récemment d’un nouveau staff en la personne de Kaba Diawara avec une équipe rajeunie sans expérience un staff sans beaucoup d’expérience non plus que ce soit en club en tant qu’entraîneur et encore plus que sélectionneur. Le sélectionneur ce n’est pas un travail d’entraîneur, c’est un travail compliqué. Kaba Diawara connaît très bien puisqu’il est en place depuis 2015. Il connaît très bien la fédération. Il connait très bien les rouages. Le choix a été fait maintenant de la durée on ne peut pas atteindre des résultats dans les prochaines semaines, dans les prochaines mois voir dans les prochaines années. »

 » La sélection ne pourra pas survivre uniquement avec des binationaux « 

« Mais si tout le travail dont j’ai parlé tout à l’heure sur les sélections des jeunes, l’encadrement et la formation des entraîneurs, le développement du football local n’est pas fait la sélection ne pourra pas survivre uniquement avec des binationaux qui viennent qui ont plus ou moins d’envie et plus ou moins de qualité pour alimenter une équipe qui veut jouer les premiers rôles en Afrique de l’Ouest dans un premier temps. Ce qui est loin d’être gagné. En Afrique sur le continent qui est encore plus compliqué et je ne parle pas du niveau mondial. »

Perspectives : « Une expertise locale et expertise extérieure en s’entendant bien « 

« J’ai eu la chance de participer dans le staff de Lappe Bangoura au CHAN 2016 qui s’est déroulé au Rwanda. Je crois qu’à l’époque nous avons réussi avec Lappe, mais aussi tout son staff médical a créé quelque chose d’important. Beaucoup de journalistes nous ont accompagnés à l’époque dont Sega Diallo qui est aujourd’hui le vice président du Comité de normalisation de la fédération guinéenne de football. Je crois que nous avons trouvé la bonne formule pour fonctionner : une expertise locale et expertise extérieure qui en s’entendant bien, respectant bien sûr le rôle de chacun, on avait réussi à amener les garçons au très haut niveau puisqu’on s’était fait éliminer en demi-finale aux tirs au but par le futur vainqueur qui était la République Démocratique du Congo avec beaucoup de très bons joueurs. Je pense que c’est cette voie qui devait permettre à l’avenir mais il faut absolument une entente entre locaux et extérieurs que ce soit des coaches étrangers ou des internationaux extérieurs dans d’autres domaines notamment le médical, la préparation physique. »

Laurent Hatton au milieu des joueurs locaux au Rwanda.

« On ne peut pas avoir que des binationaux dans une équipe en oubliant les locaux »

 » Mais il faut vraiment une entente cordiale importante pour que ça marche. C’est capital. Je pense aussi qu’au niveau des joueurs il faut un mélange de binationaux et de locaux. On ne peut pas avoir que des binationaux dans une équipe en oubliant les locaux ça me semble totalement impossible ne serait ce que pour faire adhérer l’ensemble des Guinéens à l’amour de cette équipe. Il faut qu’ils se sentent représenter. Ils ne peuvent pas être représentés uniquement par des garçons qui ne connaissent pas le pays qui n’y sont pas nés qui n’y sont jamais venus pour la plupart. Ca me semble capital. Ce n’est que mon avis de la petite expérience que j’ai du vécu en Guinée. »

Propos recueillis par Yvon LEROUX 

 

 

 

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